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la plume du communicant
25 août 2012

WADE ET LES MEDIAS

 

Pourquoi le président de la République du Sénégal, malgré les promesses faites avant son élection, reste extrêmement méfiant vis-à-vis de la libéralisation de la télévision?

  Il fait même le contraire de ce qu’il a dit. Non seulement, il n’a pas libéralisé le marché de la télévision mais il fait pire que son prédécesseur parce qu’il est omniprésent à la télévision. Les raisons de cette crainte sont classiques. Il croit ou son entourage, en tout cas, que la télévision est un puissant moyen de propagande en raison du nombre de personnes qu’elle pourrait atteindre mais aussi de la puissance des images. Et puis, n’oubliez pas que maître Wade est de la vieille école. Il se croit omnipotent. Il veut être partout et tout le temps. Il veut contrôler l’information.

Est-ce que c’est pour cela que le Haut Conseil de l’Audiovisuel, l’équivalent du CRTC, reste une espèce de levier de contrôle au service du pouvoir politique?

Vous savez, c’est un instrument qui, a priori, a toujours des objectifs extrêmement positifs. Mais ces institutions-là sont des instruments qui ne valent que par la dextérité des mains et des consciences qui les manient. Donc, le fonctionnement des institutions est quelquefois tributaire des dirigeants de cette institution, de la manière dont ils conçoivent la mission qui leur est assignée. Quand vous prenez le Haut Conseil de l’Audiovisuel sous le règne de Babacar Kébé, son président jusqu’en 2000 par exemple, l’instrument était en réalité conçu comme un instrument de censure entre les mains de l’État pour empêcher toute forme d’information qui n’arrange pas le gouvernement.

Et malheureusement, Abdoulaye Wade, l’actuel président de la République, a été victime de ce fonctionnement-là.

À l’époque où il était membre de l’opposition?

Absolument et lui-même, une fois arrivé au pouvoir, perpétue le même genre de fonctionnement.

Mais qu’est-ce qu’il faudrait faire aujourd’hui pour qu’on arrive au moins à un HCA qui soit relativement efficace?

Il faut déjà changer le texte et les objectifs qui lui sont assignés parce que les objectifs du HCA sont très modestes. C’est une mission de supervision, de contrôle sans pouvoir de sanction.

Ce qui n’a pas de sens?

Tout à fait. C’est-à-dire que le HCA ne peut que faire des recommandations et les recommandations, ça s’arrête à la publication des communiqués. Tout le monde se fout du HCA.

À commencer par la Radio Télévision Sénégalaise, la chaîne de l’État?

Oui. Donc, il faut changer les objectifs de cette institution en lui donnant un pouvoir de sanction.

Mais est-ce que c’est ce même besoin de contrôler les médias qui explique cette valse de directeurs à la tête de la RTS?

Absolument. C’est-à-dire que le directeur qui n’applique pas la mission de visibilité des pouvoirs politiques et principalement du chef de l’État risque d’être sanctionné. Et si vous vous rendez bien compte, lorsque l’ancien directeur de la RTS est arrivé, Abdou Khoudoss Niang, il a dit : « Ma mission se limite à rendre plus visible l’action du chef de l’État ». Mais très certainement qu’il n’a pas réussi sa mission parce qu’il a été dégommé.

Toujours dans cet esprit, on entend parfois la notion de « journalisme d’État » qu’invoquent souvent les journalistes de la RTS pour justifier leur propagande pour le pouvoir. D’où vient cette notion? Est-ce que ça vient de ce fameux courant du journalisme de développement?

Non, c’est une pratique en fait qui a été instituée et qui est devenue finalement une règle. Quand on dit qu’on est journaliste d’État, pour justifier le fait qu’on ne rende visible que l’action du chef de l’État ou du pouvoir mais c’est qu’on ne sait même pas ce que c’est un journalisme d’État parce que l’État, ce n’est pas le gouvernement. L’État, c’est toutes les institutions représentatives de la société qui regroupent aussi l’opposition politique. Lorsque l’on dit « Journaliste d’État », il faut donner donc la possibilité d’expression à ces représentants de l’opposition dans les institutions de l’État. Donc, ce ne sont pas des journalistes d’État, ce sont des journalistes de gouvernement. J’allais dire des journalistes du pouvoir qui est en place.

Autre difficulté des journalistes sénégalais, vous évoquez dans votre livre les limites culturelles du travail des médias. Et puis, récemment, avec l’épidémie de choléra, juste avant le grande fête religieuse du Sénégal, certains ont suggéré au gouvernement d’annuler la cérémonie. Les journalistes se sont fait insulter et l’État n’a pas réagi. Qu’est-ce qui fait que les gens se donnent le droit de les insulter?

L’expression de ces gens reflète leur niveau d’instruction. Je ne parle pas même de formation universitaire ou académique mais simplement de formation au niveau même de l’information. Est-ce qu’ils savent de quoi ils parlent? Savent-ils ce que c’est un État? Quand vous avez 61 % de citoyens analphabètes en langue française dans un pays où les institutions…

Officiellement, ces chiffres sont inversés!

Oui, officiellement, ils disent le contraire. Mais la réalité, c’est ça. C’est que les institutions qui sont censées représenter la société s’expriment dans une langue que la majorité de la société ne comprend pas. Deuxièmement, c’est qu’ils reçoivent des informations qui ne les aident pas à développer leur esprit critique. Troisièmement, ils évoluent aussi dans un environnement qui comprime leur esprit critique.

Quel est cet environnement?

C’est l’environnement socioculturel et qui est entretenu par des systèmes de référence religieux intouchables. D’autant plus intouchables qu’ils tirent leur légitimité d’une source qui est sacrée, l’Islam. Or, si on avait un peu d’esprit critique, on se rendrait compte que quelques-uns de leurs comportements sont des dérives par rapport aux comportements qui dictés par l’Islam. Donc, le système traditionnel est perpétué et légitimé parce qu’il tire sa source de l’Islam. Les journalistes évoluant dans cet environnement sont obligés donc de prendre en compte le contexte sociologique dans lequel ils évoluent. L’expression donc de ces gens qui les insultent résulte du fait qu’eux-mêmes, le système auquel ils se réfèrent est intouchable. C’est le système maraboutique parce que quand vous insultez aujourd’hui à la radio, même si vous déclinez votre identité et que vous le faites au nom du marabout, il n’y a aucune chance que le journaliste vous poursuive et même s’il essaie de vous poursuivre, il n’y a aucune chance que le dossier aboutisse demain entre les mains d’un juge parce que le marabout va intervenir.

Pourquoi l’État ne fait rien contre ces choses-là?

Mais parce que l’État lui-même est prisonnier de ces systèmes maraboutiques et joue le jeu. Si théoriquement, l’État est à la tête des institutions, dans les faits, celui qui est à la tête des institutions, c’est le marabout et ce système-là est entretenu non seulement par les marabouts mais aussi par l’État parce que ça l’arrange. Tous ceux qui incarnent l’État au Sénégal pensent que la stabilité du régime résulte du fait que le système maraboutique est maintenu comme tel. Soit! C’est peut-être même vrai. Mais le problème, ce n’est pas l’existence du système, c’est les dérives du système maraboutique parce que tout pouvoir qui connaît des dérives entraîne un déséquilibre dans le fonctionnement de la société.

C’est que non seulement, il y a des déséquilibres mais il y a déséquilibre aussi au niveau de la dénonciation des dérives. Parce qu’on peut dénoncer les déséquilibres de l’État, mais on ne peut pas dénoncer au même titre les dérives du pouvoir maraboutique.

Donc, c’est un pouvoir qui stabilise les rapports de force sociaux à son profit.

En clair, c’est que non seulement l’État ne protège pas les journalistes mais en plus, il les méprise parce qu’on se souvient que lors de la visite du président Chirac à Dakar, Abdoulaye Wade a refusé de répondre aux questions des médias sénégalais préférant réserver ses réponses aux Français présents dans la salle!

Là-dessus, il faut comprendre que maître Wade est un peu complexé vis-à-vis de l’Occident et il est convaincu que 90 % de la population sénégalaise le soutient. Il croit que s’il a des opposants susceptibles de le mettre en difficulté, ils sont à l’étranger. Donc, sa propagande doit aller vers l’étranger. Et puis, l’avantage de répondre à des journalistes étrangers, surtout ceux qui accompagnent les chefs d’État dans un voyage officiel, c’est qu’ils sont souvent beaucoup moins renseignés que leurs collègues locaux sur les difficultés de l’intérieur du pays.

Birane Mamadou SALANE

bsalane@gmail.com

 

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